jeudi 12 février 2009

11 mars 2006

Chaque matin un nouveau soleil éclabousse la chambre grise de milliards de particules qui sont, elles aussi, neuves et fraîches. De la même façon, aucun jour ne ressemble ni jamais ne ressemblera à celui d'hier. Et moi, et vous, à chaque aube qui naît et inonde les campagnes, les villes avec leurs fleuves, les montagnes et les forêts, nous sommes différents ; les heures ont passé, et les minutes et les secondes. Et ce que nous étions au moment de nous endormir, nous ne le sommes plus à notre réveil. "Tout passe"" disait le vieil Héraclite; et cette leçon, cette sentence, est valable pour tout ce qui tourne dans l'incommensurable univers, est valable pour tout ce qui vient à la vie, les plantes, les animaux de toutes sortes. Et nous, les hommes, qui humons les étoiles, nous sentons au plus profond de nous le passage inexorable du temps. Nous sommes à la fois dans le mouvement du temps immense et nous sommes en mouvement, nous venons du bref instant de notre naissance, ce point qui s'éloigne à mesure que nous nous rapprochons d'un autre, dans un avenir qui est absolument imprévisible et indécidable. Il y a le passé, celui de chacune et de chacun, celui du monde et de l’Histoire, il y a le futur dont nous ne pouvons rien savoir avec certitude et puis, il y a les instants qui suivent les instants dans une succession d'évènements dont l'essentiel des traces tombe dans l'oubli. Nous gardons en mémoire tels et tels moments, nous chérissons et vénérons ceux qui nous ont apporté le bonheur et la joie mais aussi bien, ceux qui nous ont le plus cruellement marqués. Le pur présent n'a ni substance ni réalité absolue, jamais la roue du temps ne cesse de tourner et, à chaque microseconde de ce qui constitue nos existences, nos cellules se transforment et parfois se font la guerre, nos cheveux blanchissent ou tombent, nos gestes sont de moins en moins assurés, nous avons des trous de mémoire, nous égarons nos clefs et tournons en rond à la recherche de tel papier important que nous avions pourtant rangé dans un tiroir; mais nous ne savons plus lequel. Nous passons de 1'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte et de là, nous entrons dans la vieillesse, cette période de la vie où, étrangement, on a l'impression que tout va de plus en plus vite. L'hiver touche à peine à son terme que le printemps, le merveilleux printemps est déjà là, et nous avons à peine le temps de nous en réjouir que l'été se termine pour laisser place à la longue nuit de la nature. Et ainsi, de saisons en saisons, nous sommes entraînés inexorablement, comme grignotés et dévorés par ce sur quoi nous n'avons aucune prise. Mais ne vous méprenez pas, selon moi, il ne ressort nullement de ce constat qu'il nous failles courber le front ou baisser les bras. La conscience de la fragilité universelle de tout implique, au contraire, une présence à l'immédiat de la vie encore plus affirmée, volontaire et joyeuse. Même et parce que la durée, le plus ou moins long temps que nous avons encore à jouir de notre présence en ce monde, qui est le seul monde, d'ailleurs n'est en rien assuré, nous nous devons à la vie, nous sommes comptables du bonheur qu'il y a simplement à vivre. Il y a, ces jours-ci, de merveilleuses alternances de lumières et d'ombres, des trouées dans le gris des nuages qui laissent voir un ciel d'un bleu rempli des promesses du printemps. Il y a, certain soir, le sublime croissant de lune au-dessus des toits de ma rue. "Il ne faut pas différer l'heure de bien vivre" dit Horace et ne pas faire comme ce paysan, "qui attend, pour passer le fleuve, que l'eau ait fini de couler. Mais le fleuve coule et toujours roulant coulera pour l'éternité". Horace, nous dit aussi ceci qu'il nous faudrait inscrire sur un mur de notre chambre: ""Imagine que chaque jour qui se lève est pour toi le dernier, et tu accueilleras avec gratitude l'heure que tu n'espérais plus".

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