dimanche 8 février 2009

21 avril 2001

Il y avait, l’autre soir, sur la chaîne dite “culturelle”, avec, parfois un zeste de mépris dans le ton, ce reportage, ce portrait, plutôt, que Karim Didri a consacré à Ken Loach, Le cinéaste du réel, de la vie de tous les jours, des paumés et des oubliés d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. Je vais vous dire, j’ai beaucoup de sympathie pour ce brave homme; il est incontestablement d’une grande bonté et d’une sincérité qui ne fait aucun doute. Même chose pour son scénariste attitré qui partage son temps entre feuillets de papier et bistrot du coin où il trouve son inspiration; ces gens-là sont d’une lucidité remarquable sur leur temps, qui est aussi le nôtre. Maintenant, vous me connaissez, je n’ai pas pour habitude d’avaler n’importe quoi et je tiens pour absolument vital de toujours aller voir sous les choses, de ne pas se satisfaire des apparences; enfin, de douter, douter toujours. Et donc, pour en revenir à Ken Loach, dont j’ai vu la plupart des films, ceci: Il est tout à fait louable de se pencher, comme il le fait avec talent et persévérance, sur le sort des damnés de la terre, des dockers, des mineurs et des chômeurs, des hommes et des femmes qui savent ce que ramer veut dire et qui traversent des pans entiers de leur vie dans une détresse et un dénuement proprement scandaleux. Il s’agit donc, pour lui, de mettre en scène, avec des acteurs professionnels, avec une caméra, de l’éclairage et du son, la réalité qui est vécue par ceux dont il se fait le porte-parole. La question est donc, proprement, de reproduire, par la fiction, par l’artifice que constitue toute la machinerie mise en oeuvre, une réalité qui, par le fait même qu’elle est reconstruite, ré-inventée, n’a plus aucun rapport avec la réalité telle qu’elle est effectivement vécue par des êtres de chair et de sang qui, à l’occasion, peuvent se trouver dans l’une ou l’autre salle obscure pour, peut-être, se reconnaître dans les personnages en deux dimensions qui se débattent sur la toile blanche. Vous pourrez m’objecter que, dans le documentaire, de la même façon, ce sont des images qui parlent du réel et que le réel est absent des images et qu’il en est de même pour toute forme de représentation, ce à quoi je n’aurais rien à redire; simplement, il y a des images qui parlent mieux que d’autres et qui touchent plus directement celui qui les voit; prenons, par exemple le film de Spielberg “La liste Schindler”: le choix du noir et blanc, pour faire époque et nous ramener à ce que l’on a déjà pu voir de documents sur cette période est en fait une supercherie alors que la sobriété des images actuelles telles qu’elles sont utilisées par Lanzmann pour illustrer, si j’ose dire, la terrible interview de cet ancien délégué du comité international de la croix rouge qui a visité le ghetto de Theresienstad, sont autrement accusatrices et se passent de tout autre commentaire. Pour ceux qui l’ignorerait, les autorités nazies avait organisé cette visite guidée avec un souci du détail proprement diabolique en prenant soin de ne montrer que des juifs en parfaite santé, heureux de vivre dans cette enclave paradisiaque, dans des logements spacieux et clairs alors qu’en réalité, à quelques centaines de mètres du lieu de la visite officielle, on l’a su plus tard, des milliers de gens tombaient comme des mouches de malnutrition et de maladies et que des convois de chemin de fer transportaient des milliers d’autres vers les camps de la mort. Évidemment il y a un monde entre ces événements et les bonnes intentions de notre ami Ken Loach, j’en suis parfaitement conscient, mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que, d’une certaine façon et à son corps défendant, il ne reproduise le même type de tromperie. Et tenez, ça me rappelle d’autres images, diffusées aux informations télévisées où l’on voyait les huiles de notre grand parti à la rose, entrant ou sortant des cinémas où l’on projetait Germinal, cette boursufflure pleurnicharde et qui, les huiles, affichaient des mines de circonstances, un peu comme aux enterrements, voyez vous, la tête qui dodeline, l’émotion feinte, les mots creux sur le sort de ces pauvres gens, ah, là, là...




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